Dans le delta du Rhône, entre les deux bras du fleuve et la mer, je me sens comme enveloppé. Suis-je forcé de regarder vers le large, d’avancer vers la mer ? Et après ? Le motif de ce travail, c’est la nécessité de retrouver un sens de circulation sans y être contraint. J’ai beaucoup murmuré à ce fleuve qui passait devant chez moi.Je savais qu’il digérait mes mots sans les juger et les transportait vers la mer plus loin. Je lui dois tant. Suis-je toujours libre de penser comme je veux ?
Alors je prends ma voiture et je roule. J’apprivoise le territoire. J’y suis bien. Aucun relief. L’horizon est lisse. Seules les digues du Rhône lui donnent quelques mètres de hauteur tel un rempart végétal. Dans cet immense espace, je me sens libre mais tout de même enfermé. Comme on a contraint les eaux douces et les eaux salées à ne pas se mélanger, j’éprouve une nécessité de faire le tri entre présent et passé. J’y vais et j’y retourne. J’emprunte les mêmes routes mais ne m’arrête pas aux mêmes endroits. Souvent, ce sont des lieux que j’avais repérés. Ou bien l’endroit m’avait plu mais ce n’était pas le bon moment. Souvent, je quitte les routes principales pour prendre des voies moins fréquentées.
Puis, je m’arrête. Je descends de la voiture. Et je marche. J’avance vers un but que je ne connais pas à l’avance. Il se présente à un moment, comme le bout de quelque chose qui toujours fait naître une image. Souvent, ce sont les traces d’une vie passée. À cet endroit-là, je n’ai plus tous les sens en éveil. Je ne sens plus rien, je n’entends plus rien.
Je vois seulement.
Ma respiration ralentit. Et je sais que je suis au bon endroit. C’est presque mystique. Des gens ont vécu. Des animaux ont pâturé. Ils ont laissé des chemins, des barrières, des maisons. Ils ne sont plus là. Mais en moi, parmi ces signes que la nature n’a pas encore dissimulés, la vie se remet en mouvement…